Selon l’agence Ucanews, qui cite des sources issues de Pékin, de Hongkong et de Rome, une délégation du Vatican s’est rendue dans la capitale chinoise dans les derniers jours du mois d’avril dernier. La venue de cette
délégation en Chine confirme le fait que les négociations entre Rome et Pékin entamées en 2014, se poursuivent.

En l’absence de tout communiqué de l’une ou l’autre partie, on ne sait toutefois rien de la teneur de ces négociations. Peuvent-elles être les prémices à un accord historique entre la Chine populaire et le Saint-Siège ? Difficile à dire alors même que le président chinois, Xi Jinping, a présidé les 22 et 23 avril une réunion au plus haut niveau consacrée à la religion et qu’il n’y a montré aucun signe d’ouverture en matière de liberté religieuse. Il y a réaffirmé point par point la nécessité pour le Parti communiste de contrôler les religions en Chine.

Selon certaines sources ecclésiales, les négociations actuellement menées par le Vatican ne viseraient pas tant à conclure un accord global avec Pékin, tant les points de blocage sont nombreux, qu’à s’accorder avec le gouvernement chinois sur la mise en place d’un « groupe de travail » conjoint qui serait chargé de déminer le terrain. De puissantes voix s’élèvent cependant pour mettre en garde le Saint-Siège contre la signature hâtive d’un éventuel accord avec les dirigeants chinois.

En partenariat avec Eglises d’Asie, l’hebdomadaire Famille chrétienne publie cette semaine (n° 2001 daté du 21 mai 2016) une interview avec le cardinal Zen Ze-kiun, accompagnée d’un reportage sur les catholiques de Shanghai. Parfait connaisseur de l’Eglise de Chine, le cardinal Zen y évoque la situation du diocèse de Shanghai, avant d’élargir son propos à la politique religieuse des communistes chinois et aux négociations menées entre Rome et Pékin. Nous reproduisons ici des extraits de cette interview, à retrouver dans sa version complète dans Famille chrétienne.

Eglises d’Asie: Quelle est la portée du geste posé par Mgr Ma Daqin le 7 juillet 2012, à Shanghai ?

Cardinal Zen Ze-kiun: Dans sa Lettre aux catholiques de Chine de 2007, le pape Benoît XVI a nettement dit que les principes qui sont à la base de l’Association patriotique sont inacceptables pour l’Eglise catholique.

Afin de se tenir informé des réalités de l’Eglise de Chine, il avait mis sur pied au Vatican une « Commission Chine » réunissant différentes personnes – dont j’étais. Lors de nos rencontres, nous étions arrivés à la conclusion que, après des années de patience où nous avons attendu que l’Association patriotique change de l’intérieur, il était temps de dire clairement que cette instance était inacceptable pour les catholiques. Pour moi, Mgr Ma n’a donc fait qu’agir selon ce que le Saint-Siège demande.

Malheureusement, quand Mgr Ma a agi comme il l’a fait en juillet 2012 à Shanghai, il n’a pas reçu de soutien explicite de la part du Saint-Siège. J’aurais aimé alors que le pape fasse une déclaration, par exemple, pour dire simplement qu’il était soucieux du sort de Mgr Ma. Le simple fait pour le pape de mentionner Mgr Ma aurait suffi pour que Pékin comprenne que le Saint-Siège était derrière lui.

De ce fait, la portée du geste posé par Mgr Ma est, pour certains sur place, à Shanghai et en Chine, moins claire: le Vatican soutient-il vraiment ce genre d’initiative ? Alors que, lors des réunions de la Commission vaticane pour l’Eglise en Chine, nous avions été très clairs sur le fait que le temps de la tolérance était révolu.

J’admire vraiment ce qui s’est passé à Shanghai. Le geste de Mgr Ma a pour moi une portée exemplaire, prophétique et pourrait être le début d’un mouvement de fond pour l’Eglise en Chine.

Près de quatre ans après, quelle est la situation à Shanghai ?

Le Saint-Siège, Mgr Jin Luxian [l’évêque « officiel » de Shanghai, décédé le 27 avril 2013 à l’âge de 96 ans] et Mgr Ma étaient tous très conscients que sa démission de l’Association patriotique poserait de grandes difficultés. Je pense que la décision n’a pas dû être facile à prendre pour Mgr Jin.

Vous devez savoir qu’à Shanghai, les deux administrations qui ont à voir avec l’Eglise sont le Bureau des Affaires religieuses et la Sécurité publique. Le Bureau des Affaires religieuses a toujours été contre l’Eglise, agissant pour créer des problèmes, des difficultés à l’Eglise. La Sécurité publique avait des rapports bien plus cordiaux avec Mgr Jin. Celui-ci a donc dû planifier tout cela dans la plus grande discrétion, et ils n’ont pas réalisé ce qui se tramait. Ils ont donc été très surpris, se sont sentis offensés, car ils ont perdu la face.

Pour autant, depuis, les autorités chinoises n’ont pas osé « faire » un nouvel évêque pour combler l’absence actuelle d’évêque en position de gouverner. Cela signifie que lorsque le clergé reste uni, le gouvernement se montre très prudent et ne peut agir à sa guise. Ils ont certainement essayé de convaincre tel ou tel d’accepter de devenir évêque à la place de Mgr Ma, mais personne n’a accepté, et ils n’ont pas osé non plus nommer quelqu’un qui viendrait d’un autre diocèse.

Nous sommes certes pour l’heure dans une impasse, car ni le gouvernement ni l’Eglise ne veulent « perdre la face », mais c’est le prix à payer pour sortir de l’ambiguïté.

Quelle issue désormais peut-on entrevoir pour le diocèse de Shanghai ?

L’impasse n’est pas qu’à Shanghai. C’est toute l’Eglise en Chine qui se trouve dans une impasse. La situation présente est objectivement parlant celle d’une Eglise « officielle » qui se trouve en situation schismatique. L’Association patriotique ne peut pas être acceptée et ceux qui travaillent avec elle – qu’ils le fassent bon gré ou mal gré – se placent dans une situation schismatique.

Je comprends que le gouvernement ne veuille pas « perdre la face » dans cette affaire, mais nous non plus, nous ne pouvons nous asseoir sur nos principes ! Si donc, aujourd’hui, il n’y a pas de possibilité de sortir de l’impasse sans renier nos principes, alors nous devons en rester là où nous en sommes actuellement. Pourquoi vouloir sortir de l’impasse à tout prix ?

En juillet 2012, Mgr Ma a posé un geste fort. Il serait insensé de revenir en arrière. Certes, il est très difficile pour un diocèse de ne pas avoir d’évêque, et de très nombreuses activités sont actuellement gelées. Tout le monde est dans l’expectative, et c’est une situation douloureuse et dangereuse, mais nous n’avons pas le choix.

Ma position est que nous devons affirmer clairement nos principes, nous ne pouvons les renier pour avoir… Pour avoir quoi exactement ? Récolter une Association patriotique toujours plus puissante et une Eglise au final qui est schismatique ? Est-ce cela que nous voulons ?

Peu avant le Nouvel An chinois, le pape François a donné un entretien, publié à Hongkong, au sujet de la Chine. Comment avez-vous accueilli ses propos ?

Tout le monde admire les efforts déployés par le pape. Il fait preuve de tant de bonne volonté dans l’expression de son désir de se rendre un jour en visite en Chine. Mais je ne peux pas cacher que j’ai été déçu par cette interview, car la religion a été exclue du champ de l’interview: comment imaginer interviewer le pape et ne pas parler de religion ? Le pape parle de culture. Très bien. J’entends des personnes dire qu’il met ses pas dans ceux du Jésuite Matteo Ricci, auteur en 1595 d’un Traité de l’amitié à l’adresse des Chinois et de l’empereur. De grâce, laissez Matteo Ricci en paix ! Matteo Ricci avait affaire à un empereur. Nous avons affaire à un Parti communiste.

Chacun sait que les communistes chinois ont piétiné plus que n’importe qui la culture. Ils ne défendent que la culture socialiste. De même, le pape dit qu’il ne faut pas avoir peur de la Chine. Mais, ici, à Hongkong, les gens rient lorsqu’ils lisent cela. Rome est loin de la Chine, nous en sommes tout près ici, et tous, nous avons peur. Alors pourquoi donner une telle interview ?

La réponse de Pékin est venue, très claire: les journaux chinois officiels ont répondu: « Nous voulons des faits », autrement dit: « Rendez les armes ! Soumettez-vous aux demandes de Pékin ! » Et on peut bien comprendre pourquoi la Chine n’a aucune raison de faire des compromis. Ils dominent la partie « officielle » de l’Eglise et maintenant, ils veulent que l’autre partie, la partie « clandestine », se fonde dans la partie « officielle ». Et ils veulent que le Saint-Père donne sa bénédiction à l’Association patriotique !

Mais la politique du kowtow, c’est-à-dire de s’abaisser devant le pouvoir central chinois, ne peut porter de bons fruits. Le pape parle d’adopter une attitude humble. Très bien, l’humilité est une vertu cardinale, mais il ne faut pas le faire en abandonnant toute dignité, la dignité de notre foi, la dignité de l’Eglise. Nous ne devons pas « faire kowtow ». Or, je pense que cette interview ne peut que convaincre le pouvoir chinois à Pékin que le Saint-Siège est prêt à tout pour parvenir à un accord.

Suite de l’interview sur le site: www.famillechretienne.fr

(Source: Eglises d'Asie, le 17 mai 2016)