Depuis huit ans que dure le conflit du Sud thaïlandais entre insurgés islamistes et forces de sécurité gouvernementales, aucune issue, qu’elle soit politique ou sécuritaire, ne semble devoir émerger. Face à cette apparente impasse, des responsables d’ONG ainsi que l’Eglise catholique sur place appellent à une nouvelle approche du problème.

Directrice d’Amnesty International en Thaïlande, Parinya Boonridrerthaikul remarque que « sept gouvernements et six Premier ministres ont mis en œuvre différentes méthodes pour tenter de trouver une solution à ce conflit, mais tous ont échoué ». La législation d’exception qui est en place dans les trois provinces à majorité musulmane du Sud thaïlandais a été maintenue, voire renforcée par ces différents gouvernements, mais elle n’a engendré que des difficultés supplémentaires, en termes notamment de violations des droits de l’homme. La police et l’armée peuvent, au titre de cette législation, placer en détention toute personne durant sept jours sans l’intervention d’aucun juge. « Les arrestations arbitraires, les détentions abusives et la torture derrière les barreaux sont devenues monnaie courante », dénonce la militante des droits de l’homme, dont l’organisation avait stigmatisé, dans un récent rapport, les « crimes de guerre » auxquels se livraient, pour leur part, les rebelles insurgés.

Depuis le 4 janvier 2004, date à laquelle des insurgés islamistes ont fait main basse sur un dépôt d’armes de Narathiwat, le conflit qui mine les trois provinces méridionales de Pattani, Narathiwat et Yala n’a cessé de faire des victimes. Début janvier 2012, un décompte très officiel d’une agence gouvernementale thaïlandaise indiquait qu’en l’espace de huit ans, le bilan s’élevait à 5 243 morts et 8 941 blessés ; parmi les morts, on comptait 4 215 civils, 351 soldats, 280 policiers, 148 enseignants et membres du personnel éducatif, sept moines bouddhistes et 242 insurgés présumés. Parmi les victimes indirectes figuraient 2 295 veuves et 4 455 orphelins. Sur un plan financier, cette guerre qui ne dit pas son nom a coûté 161 milliards de bahts (près de 4 milliards d’euros) à Bangkok en opérations militaires (70 % des 161 milliards de bahts) et projets de développement.

Le conflit ne donne aucun signe d’apaisement. Le centre Deep South Watch de l’Université Prince de Songkhla indique qu’au cours du mois de janvier dernier, 55 incidents violents ont été dénombrés, causant la mort de 33 personnes et faisant 41 blessés. L’équipe gouvernementale en place à Bangkok ne semble pas désireuse de changer son approche du problème. Outre la pression des militaires qui estiment que le maintien d’une législation d’exception est nécessaire compte tenu de la poursuite des violences, le gouvernement continue d’agir comme si l’allocation de subsides supplémentaires sur ces provinces permettra de rétablir le calme. Début février 2012, le ministre de la Justice Pracha Promnok a annoncé la mise en place de mesures de compensation pour les familles des victimes des trois provinces méridionales, en y ajoutant également celle de Songkhla. Ces dédommagements aux familles s’élèveront de 10 000 à 350 000 bahts selon les blessures subies et jusqu’à 7,5 millions de bahts (185 000 euros) par les familles des défunts.

Pour le P. Suwat Leungsa-ard, prêtre du diocèse catholique de Surat Thani, dont le territoire englobe les trois provinces du Sud thaïlandais, la réponse gouvernementale à cette situation, si elle se contente d’allier violence armée et manne financière, ne résoudra rien. « Le gouvernement a abordé ce problème comme le ferait une personne étrangère à la région, en outsider », remarque ce prêtre qui œuvre depuis de nombreuses années auprès de la toute petite communauté catholique locale ainsi qu’en faveur de la paix dans la région. Selon lui, les populations locales, comprises dans toutes leurs dimensions, ont été négligées par les acteurs politiques. C’est à la société civile, formée des ONG locales, des organisations religieuses, des intellectuels locaux, des responsables de communautés et de villages, d’agir sur ce conflit. « Localement, les populations comprennent quelles sont les racines du problème. Elles doivent donc être incluses dans la recherche d’une solution », explique-t-il.

Directeur du Centre diocésain de développement social, il estime que, sur le terrain, des initiatives voient le jour et permettent d’espérer que la région sortira un jour de la violence et du sous-développement qui l’accompagne. Il cite à cet égard un programme qu’il finance avec l’aide de l’Union européenne et qui permet à des veuves de se former sur un plan professionnel afin d’être à même de gagner leur vie et de faire vivre leur famille. « Pour cela, nous collaborons avec des responsables religieux musulmans et bouddhistes afin que les enseignements porteurs d’un message de paix dans l’une et l’autre religion puissent être entendus et mis en pratique par chacun », explique le prêtre. A un niveau supérieur, des contacts ont été établis avec l’Université Prince de Songkhla et avec l’Université islamique de Yala pour organiser des forums de partage d’information et tenter de dégager des solutions, lesquelles sont ensuite présentées sous forme de propositions au gouvernement, poursuit encore le P. Suwat.

A court terme, l’issue du conflit n’est cependant pas visible, reconnaît le prêtre, qui n’hésite pas à dire son scepticisme face aux récentes mesures d’indemnisation proposées par Bangkok. Sept millions et demi de bahts pour les familles qui ont perdu leur chef ne feront rien pour rétablir la vérité. « Ce qui importe, c’est de chercher la vérité et traduire en justice les coupables. Offrir de l’argent pour inciter les gens à ne plus demander la vérité n’a aucun sens. Le gouvernement doit faire face à ses responsabilités et enquêter sur tous les incidents qui ont fait tant et tant de victimes », conclut le prêtre.

(Source: Eglises d'Asie, 29 février 2012)